La devèze Grande (historique d’une parcelle de la grange de Lioujas)

« La devèze Grande » dite « Nogayrolas » dès l’an 1307, ou « Nogayrolles » en 1823, (1) est une des pâtures d’un des domaines de la grande abbaye de Nonenque, celui de Lioujas. Cette abbaye possède en effet un patrimoine rural très important dans le sud du département, autour de St Jean d’Alcas et de St Affrique, sous la forme de plusieurs domaines dit «granges» à St Paul des Fonts, Caussanuéjouls, St Jean d’Alcapies …

La devèze grande est aujourd’hui classée en « espace naturel sensible »…  donc c’est un espace protégé : 

Présentation succincte de la Grange de Lioujas :

En mars 1168, Hugues, comte de Rodez donne à sa mère Ermengarde tous ses droits sur la villa de Lioujas, près de la voie romaine & de la draye de transhumance vers l’Aubrac (2). La comtesse possédait déjà le couvent de Cayssac, mais, originaire du Sud par sa famille (de Creissels), elle se retire en 1170 comme religieuse dans le monastère de Nonenque en donnant à l’abbaye le domaine de Lioujas.

Le 20 décembre 1171, le comte de Rodez, Hugues le jeune confirme la donation de la villa de Lioujas à l’abbaye de Nonenque, donation à nouveau confirmée par une charte du 11 janvier 1259. Le domaine est géré par un fermier qui par contrats successifs (3), administre et dirige le domaine. La pérennité du domaine est réelle car depuis 1527 jusqu’en 1823 la propriété est quasi identique.

Au XVIIIe siècle, se succède ainsi différents fermiers tels que Pierre Bertrand «bourgeois» de Lioujas, Clauzel de Cruéjouls, avocat en parlement et administrateur de « la plus grande partie des revenus de ladite abbaye », Girou, puis Graille et enfin Belloc de Cruéjouls, riche propriétaire.

Le 18 avril 1791, le domaine est acheté aux enchères publiques comme bien national par la famille Monestier de Laissac pour la somme de 143 300 livres (4).

En 1823, il se compose de plus de 326 ha. A Lioujas, on compte 156 ha de terres labourables (48 %), 154 ha de pâtures (47 %) sur le Causse Comtal le plus souvent, 4 ha de bois et enfin 10 ha de près, auxquels il convient d’ajouter un pré dans la prairie de Sébazac, et un pré non loin de St Mayme. En 1527, l’abbaye possède en plus une maison dans Rodez avec « grange étable cour & casal … al tenemen del Perthus ».

Les mentions de cette parcelle : approche historique

Le 20 août 1307, une transaction est passée entre « le granger de Lioujas & quelques habitants du lieu au sujet des herbes de quelques devèzes (5) pour obtenir un accord « de paix & concorde entre les différents partis ». La devèse dite « Nogayrolas » apparaît donc pour la première fois ; elle est réservée au domaine et ne peut donc être pâturée par les troupeaux des paysans mais par ceux du seul fermier du domaine.

Un inventaire du domaine est réalisé le 27 septembre 1527 par l’abbesse de Nonenque. Ce document en occitan permet de faire le point sur l’ensemble des terres, pâtures, bois et près, que possède l’abbaye à Lioujas et dans les environs.

Le domaine vient d’être repris en main par l’abbesse « Delphine de Roquefeuilh ». En effet, la grange est, à cette date « édifficada tota de nau, per so que aquella que y era per avant, forec caduqua & venc à ruyna & tombet » (construite toute neuve, parce que celle qui y était auparavant, était fort délabrée et vint en ruine et s’écroula) . On peut supposer que le domaine a du souffrir de la difficile période de la guerre de 100 ans & des pillages des routiers.

A.D.A., Cartulaire de Nonenque; extrait.

La parcelle est mentionnée et localisée de la manière suivante :

«  Item una devesa appellada de Nogayrolas clausa & barrada de paret confrontan daus le solelh levan am la devesa dels homes de Crosa (Crozes) & dans l’autra part am la devesa deldit homes de Croza ; et de l’autre part & solelh cote, am la terre dels Tersarenx dels homes de Leujas (Lioujas) & de Camp Peyrous (Campeyroux) , et dans l’autra part am la devesa de Brenguié Fargnie, an las terras de Esteve Carcuat de Pailhories »

La parcelle et sa localisation :

L’ensemble du terrain d’après le cadastre du début du XIXeme siècle (en 1817) : se compose en fait de 5 parcelles de par et d’autre de la route actuelle cotées de la manière suivante :

Numéro

du plan :

Lieux dits :

Nature :

Contenance :

(Parcelle N° )

Section B (dite de Lioujas) en 1817

213

Nogairoles dite de la devèze grande

Paturage

24 ha 92

214

Idem

Idem

22 ha 48

215

Idem

Idem

9 ha 53

216

La chènevière de la devèse grande

Chènevière

0,19

217

Nogairoles dite de la devèze grande

Paturage

11 ha 52

(selon ADA : plans & matrices cadastrales de la Loubière; 21 P 11 807 116; état des sections A B & D)

On remarque sur le plan ci-dessous de 1817, que le terrain à protéger, à aménager, (à ménager !) correspond aux parcelles 215 et 217 séparées en deux par un chemin vicinal de Crozes (est) à Lioujas (Ouest) . On peut mettre en valeur la présence d’une seule doline (cotée 216).

Devèze gr.de 1817

Le point d’eau, la mare (ou le lac) est visible et mis en valeur par un fond vert. De plus, des traits en pointillé semblent indiquer un droit de passage pour abreuver les troupeaux (ovins sans doute, bovins ?) et pour faire rouir le chanvre par trempage.

Sur le plan plus récent du début du XXeme siècle (voir lien ci-dessous), on retrouve les mêmes caractéristiques, si ce n’est la nouvelle grande doline à l’ouest et la parcelle 217 subdivisée. La parcelle de l’ancienne chènevière est toujours représentée, ainsi que « le lac » et le droit de passage.

Devèze Grande en 1932

De l’obligation du fermier sur la chènevière (canibière ou canebière) :

Le 25 février 1710, un contrat de fermage pour 9 ans est passé devant Crébassa, notaire à St Afrique entre la « très illustre & très révèrente Dame, Madame Elisabeth de Floirac, d’Amboise, abbesse de Nonenque, ordre de Cisteaux laquelle de son bon gré a arrenté … au sieur Pierre Bertrand bourgeois habitant au lieu de Lioujas » la grange et son domaine.

Ce fermage précis et rigoureux, développe en 10 pages toutes les obligations, les charges et l’entretien nécessaire au domaine . Un point particulier attire l’attention : « A été pacté que le fermier ne pourra semer aucun blé à la chènevière dite Nougayrolles mais s’en servir pour chènevière uniquement »

1 ) Ce terme vient sans doute de la la racine « nougo » qui signifie noix. Le terme « nougoilla » peut être interpréter de 2 manières différentes : soit c’est le lieu ou l’on épluche les noix, soit il signifie la formation de l’amande des châtaignes ! Enfin le terme « nougoredo » signifie encore lieu planté de noyers, ou de noisetiers ! (Selon le dictionnaire patois français d’Aimé Vayssier, p 401).

2 ) Selon Jacques Bousquet : Le Rouergue au premier Moyen Age, tome 2, p. 682 et suivantes ; les informations sur le domaine et sur l’abbaye sont précises et rigoureuses, une référence donc !

3 ) Durant le XVIIe & le XVIIIe siècles les notaires attitrés de l’abbesse sont Flotard de St Jean d’Alcas ainsi que Raymond Flotard & Crébassa de St Affrique. La plupart des fermages, des arrentements et des inventaires retrouvés du domaine, sont des actes rédigés devant ces différents notaires (A.D.A., 3 E 15 788 fol. 454 (1719), 3 E 15 780 fol. 412 (1710) , 3 E 19 652 fol. 42 (1655) 3 E 19 662 fol. 135 (1658) , 3 E 19 662 (1662) etc …

4 ) Le domaine a été estimé 61 439 livres; il a été adjugé à Jean Garrigues, receveur des droits d’enregistrement au bureau de Laissac pour Simon Jude Monestier, son beau frère de Laissac, président du tribunal du district de Séverac & pour Pierre Monestier prêtre; un autre membre de la famille sera maire de Laissac.

5 ) Selon le cartulaire de Nonenque; Archives Départementales de l’Aveyron (A.D.A., 33 H; 3 cartons)